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Analyse du projet

CONTEXTE ET DIAGNOSTIC SOCIO-CULTUREL

 

Le projet de ville régénératrice à Bergen proposé par Tredje Natur s’intègre de façon sensible à l’histoire de la région. En effet, le plan directeur du projet est inspiré de villages groupés (clusters) norvégiens, Klyngetun. Ce sont de petites agglomérations qui favorisent l’esprit de communauté et les modes de vie durables. Ce sont des agrégats accueillant plusieurs centaines de bâtiments entourés de terres agricoles. Ce mode d’organisation du tissu urbain avantage le développement de solutions collectives grâce à la proximité des habitants aux services. Dans l’optique de réinterpréter le concept de la construction en grappe, les transports actifs sont mis de l’avant et la pénétration véhiculaire dans le milieu est réduite au strict minimum.

Havråtunet sur Osterøy dans le Hordaland, une ferme en grappe typique

Carte de densité, De Koning (2020)

Dans un même ordre d’idées, la proposition pour le port de Bergen présente des typologies résidentielles denses. Leur intégration au secteur semble juste étant donné le site situé à proximité de zones fortement densifiées (INSÉRER CARTE). Cependant, le bâti immédiat est davantage de faible hauteur puisqu’il s’agit d’infrastructures portuaires. Dans le même ordre d’idées, le port de Bergen est aux abords d’un pôle d’emploi, l’arrivée de nouvelles résidences dans ce secteur est pertinente pour subvenir aux besoins des travailleurs. Comme mentionnée dans la section des enjeux, à la suite d’une étude demandée par la ville, la densification de ce milieu est un objectif concret de la municipalité. L’intervention de Tredje Natur est intégrée dans le contexte environnant de manière sensible et juste.

La Regenerative City propose différents quartiers semblant offrir une variété d’usages, tels que des espaces commerciaux, des espaces publics et différentes typologies de résidences. Les concepteurs mentionnent que des logements abordables, des bureaux et d’autres services seront inclus dans cette nouvelle organisation. Le principe des rues principalement conçues pour favoriser les transports actifs permet aux utilisateurs de se déplacer à leur guise. L’interdiction de circulation des voitures offre la possibilité à certains groupes n’ayant pas accès aux transports véhiculés, tels que les enfants ou les personnes à mobilité réduite, de s’approprier la rue comme espace public collectif sans restriction.

Perméabilité, Bentley (1985)

Par ailleurs, la situation actuelle du port lui donne le rôle de barrière pour les citoyens. Contrairement à plusieurs villes de bord de mer, le littoral ne constitue pas un repère significatif pour les citadins puisque l’accès à la zone portuaire est interdit. La vision proposée pour le secteur prévoit d’éliminer cette énorme barrière physique qui restreint la proximité entre les citoyens et le littoral. Pour ce faire, la proposition intègre des zones mixtes mettant en place de petits îlots qui permettent plusieurs accès pour améliorer la perméabilité du site et pour favoriser l'appropriation de ce nouvel espace de vie auparavant portuaire.

Un des objectifs clés est de créer une économie basée sur la communauté et le partage (Tredje Natur, 2021). La requalification du quai stimulera l’offre de nouveaux services tels que le covoiturage, des locations à court terme, des espaces de coworking et autres, dans le but de partager des ressources entre une variété de citoyens et entreprises. Ainsi, plus les habitants consomment et partagent les ressources locales, plus l'économie locale grandie. L’analyse du projet sous l’angle socioculturel permet de conclure que la proposition de Tredje Natur fait une application judicieuse des concepts de variété et de perméabilité tels que présentés par Bentley. L’inclusion des piétons et des vélos, la mixité d’usage, les différentes typologies de bâti et l’accès au site permettent de démocratiser le secteur et favoriser la coévolution des habitants et des systèmes naturels urbains (Blanco, Raskin et Clergeau, 2021).

PARTICIPATION CITOYENNE

 

D’autre part, le projet accorde une grande importance au design participatif dans la conception du projet dans l’objectif d’optimiser la qualité de vie des résidents du site et en périphérie. Les auteurs Blanco, Pena et Nyseth s’entendent sur la pertinence et le besoin d’intégrer les citoyens dans les projets de design urbain.

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“The community’s most deeply held values may be directly expressed in the cultural landscape. Sacred places may be protected and celebrated. New places may be created that encourage flexibility, reuse, and innovation. Lost lands may be recovered. Ecological diversity may be preserved. Much of this work may be done with the hands and the dedicated time of community members themselves, building ownership, place, and sociability from the assets that were inherent to the place all along." - Peña, 2017

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Depuis 2009, l'organisme organise des ateliers de consultation sur les zones portuaires de la ville. BAG considère que ces zones sont propices au développement urbain de logements, commerces et loisirs. La collaboration de la municipalité et du port de Bergen favorise la mise en action pour le réaménagement du secteur. On peut d’ailleurs considérer que le projet atteint les objectifs de robustesse cités par Bentley (1985) en raison des possibilités d’accommodements aux besoins de ses usagers et au contexte qui l’entoure à l’étape de la conception. Nous avons contacté le regroupement d’artiste BAG pour avoir leur opinion sur les démarches participatives du projet. Le groupe a eu la gentillesse de s’entretenir avec nous pour nous expliquer quelques points intéressants.

“We followed public seminars, some of us participated in the Bylab-workshops, and we gave oral and written feedback to visions for the development of the area, made suggestions, asked critical questions addressing affordable housing, the commons of shorelines and public spaces, circular economy and aspects of public transport. We addressed also some of the climate concerns, however, are more generally interested in ecologies as social-material communities.”
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- Sabine, artist and group member

La participation du groupe et des citoyens a permis de soulever des opportunités d'aménagement l'image des résidents ainsi que des préoccupations sociales et climatique. Au final, la ville régénératrice de Tredje Natur répond à certains sujets importants soulevés dans les ateliers de design intégré, tels que l’abordabilité des logements, mais le groupe BAG reste sceptique quant à la concrétisation des idées discutés en atelier participatif.

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Par après, BAG a mené une série de six séminaires à l'interne pour continuer d’explorer les avenues d’aménagement potentiel. Selon eux, le travail de réflexion est loin d’être terminé, Même si l'analyse du projet semble répondre de manière assez concluante aux critères de participation citoyenne cités par Blanco (2022), Peña (2017) et Nyseth (2010) pour l'étape de la conception, la concrétisation des idées des citoyens laisse à voir pour la suite du projet.

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« It was very interesting to follow the process, and often surprising to get the impression that suggestions we made actually were built into the further development of visions. We've never followed such a process so closely before.  However, - to be honest - we are still sceptical, when it comes to the implementation of much of these visions when it comes to the point of finances.

And I'm not sure how much of our involvement has a real saying in what is going to happen. We might be part of the development of something that will not be accessable for low-income population - like us - in the end. We don't feel real power (yet). »

L’analyse sous l'angle de personnalisation de Bentley (1985) permet de soulever des questions sur la phase post-construction. Tel que mentionné dans la section du cadre théorique, l'auteur soulève que l'importance de la personnalisation de l'environnement à l'usager favorise le sentiment d'appropriation du lieu et permet aux usagers de laisser leur marque. Le projet est principalement orienté sur les interactions humaines grâce au modèle d’économie basé sur le partage communautaire, mais l’interaction entre les résidents et leur environnement est peu abordé. Le rôle des citoyens après la conception demeure assez flou dans les visions futures du Dokken. Quelle est la vision pour le long terme ? Le processus participatif pour améliorer la qualité de vie et la résilience se poursuit-il après 2050 ? Puisque le projet est encore à l’étape de planification, ces questions restent sans réponse, mais il est évident que la participe des groupes comme BAG serait pertinent tout au long de l’évolution du projet.

Relation de l'écologie et l'écosystème

Le projet de développement du secteur de Dokken dans la ville de Bergen est fortement ancré dans la conception écoresponsable. La municipalité a démontré sa volonté de densifier à l'intérieur de ses limites urbaines déjà établies afin d'éviter l'étalement urbain, tel que démontrer par l'étude des enjeux de densification abordée plus tôt. Le projet Regenerative City fait l’usage de retailles de construction entièrement recyclée provenant de travaux d'infrastructure en montagne autour de Bergen afin d'agrandir le littoral et créer davantage d'espaces pour d’intégration de la nature et de la vie urbaine. Cette initiative va de pair avec le critère de Bartlett (2016, cité dans Fayed, 2020) voulant que les municipalités apprennent à maximiser l'usage responsable des ressources à l'intérieur même de leurs frontières. Tout comme Fayed (2020) le mentionne dans son ouvrage, la création d'espaces verts publics supportant la biodiversité locale en complément aux valeurs spatiales et historiques du port de Bergen permet d'améliorer la qualité de vie générale des résidents. Le prolongement du littoral met en valeur le génie du lieu ainsi que la culture maritime locale, tout en le rendant plus accessible à tous. Il s'attache directement au principe de l'Ecopolis élaboré par Tjallingii (1996, cité dans Fayed 2020) voulant que la ville intègre le potentiel écologique local dans chacune de ses décisions de développement urbain.

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Accès à l'eau, Tredje Natur (2020)

L’Ecopolis

Tredje Natur utilise des matériaux de construction entièrement recyclable et réutilisable tout en requalifiant les bâtiments déjà existant afin de limiter l'empreinte écologique et l'émission de CO2 du projet. Toutefois, selon Flemming Rafn, associé chez Tredje Natur « il n'est pas immédiatement possible de connaître l'impact écologique du nouveau quartier » (Rafn, cité dans Peters, 2020) puisque l’empreinte écologique résultant de l’utilisation de certains matériaux manufacturés est hors du contrôle des concepteurs. De plus, le projet étant encore en phase de conception, Rafn explique que la ville de Bergen devra « planifier attentivement les cycles de vies de chacune des décisions (Rafn, cité dans Peters, 2020) » pour bien évaluer les impacts écologiques qu’elles entrainent sur le milieu actuel.

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L’architecture et le design kinesthésique

En accord avec les principes énoncés par l’architecture kinesthésique, la réutilisation de matériaux inutilisés résultants de projets développés simultanément offre une opportunité d’adaptabilité aux menaces de changements qui assiègent la région. Ainsi, par l’intégration d’un remblai protecteur sur lequel le projet sied, la proposition intègre la notion d’adaptabilité à travers la modification qu’elle impose au site qui s’intègre au cœur de la ville comme une modification ponctuelle qui profite à l’ensemble. La ville de Bergen améliore ainsi sa capacité d’adaptation et sa résilience face aux changements climatiques. En effet, en plus d’être une stratégie efficace pour protéger le milieu existant des inondations et de l’érosion côtière, il constitue une opportunité de densification et de création d’un cœur portuaire pour la ville.  

Dans un autre ordre d’idée, les propositions d’intégration d’un remblai protecteur suscitent des interrogations quant aux bénéfices écologiques de l’intervention et son impact sur les écosystèmes marins du port. Il semble que bien que le remblayage constitue une opportunité intéressante pour la ville, sa modification future et les impacts directs sur l’écosystème qui l’accueille sont très limités, ce qui en fait une solution dont l’adaptabilité future est remise en doute.

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Ressources énergétiques

En troisième lieu, comme le mentionne Fayed (2020) dans ses caractéristiques des villes régénératrices, la proposition pour Dokken envisage l'intégration d'infrastructures de mobilités légères et actives afin de retirer la voiture des rues du quartier. Cette décision permettra de conserver une meilleure qualité d'air et de vie tout en réduisant la surconsommation des ressources énergétiques naturelles et l'étalement urbain. Le quartier conserve alors une échelle humaine et s'implante en continuité avec le reste de la trame urbaine.

ADAPTABILITÉ AU FIL DU TEMPS

 

Spatialité 

Du point de vue de l’adaptabilité et de la robustesse, la conception initiale du nouveau projet pour Dokken découle de la fixation des zones rigides à des endroits stratégiques pour le développement périphérique du projet. En effet, les concepteurs orientent la résolution de l’espace du nouveau quartier autour de deux prémisses : l’allmenning (des allées uniques entre les paysages urbains qui marquent l’identité de la ville) et une boucle naturelle qui englobe le projet (Tredje Natur, 2022). Cette boucle se veut une référence identitaire de la ville au cœur du projet suggéré par Tredje Natur. En fixant ainsi les repères, les concepteurs proposent un projet en forte adéquation avec la notion cruciale de spatialité nécessaire à l’adaptabilité du design dans le temps. 

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Unités physiques et design inachevé 

Autour de ces décisions primaires, les concepteurs identifient des lieux phares du projet qu’ils convertissent pour favoriser la rétention et l’attraction des usagers dans le secteur. Ils intègrent les principes d’unité physique du lieu pour stimuler les possibilités offertes aux usagers et citadins. Dans leur intégration des piliers comme cœur identitaire du quartier, les architectes proposent une reconversion des bâtiments industriels actuellement présents sur le site pour diminuer l’empreinte écologique de la proposition. Cette stratégie intègre les préceptes de l’architecture adaptable en convertissant des espaces existants du port selon de nouvelles fonctions désignées par les zones de projet.  

En identifiant les 3 piliers de projet, Tredje Natur favorise un développement tourné vers des zones d’influences précises. À cet effet, celui-ci permet une grande lisibilité des zones polaires d’influence du site par ses usagers, rendant par le fait même le site plus facilement appropriable (Bentley, 1985). L’ajout des repères à la situation actuelle du site en front de mer facilite l’anticipation des usagers et contribue de façon générale à améliorer son appropriation par les résidents. La démocratisation de la zone portuaire permet une réappropriation d’un secteur qui formait une limite, et parfois même une barrière, étant donné l’interdiction d’accès à la population. Ainsi, la Sugar House Square, le Sea Quarter et la zone sous le pont agissent comme des influences majeures sur les phases de consolidation et de densification du lieu, qui à leur tour s’oriente en suivant les axes majeurs du projet. De façon générale, le tissu urbain qui en résulte bénéficie d’une lisibilité adéquate où les axes qui le forment facilitent son appropriation et donc son animation par les usagers.  

Tredje Natur (2020)

Encore à l’étape de conception, il est difficile d’évaluer la prise en compte d’un prochain cycle de vie pour les propositions actuelles de recyclage du bâti. De fait, les concepteurs semblent concevoir les milieux clés du projet en désignant formellement les fonctions qu’occupera chaque espace. Ce constat nuit au caractère régénérateur du site puisqu’il influe directement sur les possibilités de réappropriation des espaces et la capacité d’adaptation du lieu selon les contextes changeants. En effet, bien qu’ils semblent pertinents pour la proposition actuellement, les piliers d’animation et d’identité du quartier devraient être modifiables pour permettre une meilleure actualisation du site en cas de changement des besoins, du contexte ou des usagers qui l’habitent.  

  

Les limites de l’espace 

À une autre échelle, la présence de rues partagées libres de voitures stationnées en périphérie permet de maximiser l’animation des façades et des places publiques en assurant un glissement des activités intérieures vers la rue et les espaces publics. Comme Bentley (1985) le mentionne néanmoins, ces stratégies doivent intégrer des supports aux activités publiques qu’elles permettent pour assurer une animation adéquate et intéressante des espaces fournis.  

À l’étape d’avancement actuel du projet, les stratégies d’intégrations de support qui assureront la rétention et l’animation des espaces proposés sont absentes. Ainsi, la sensibilité du projet quant aux stratégies générales de design urbain pour la communauté est indéniable notamment par l’intégration de rues partagées où la priorité est donnée aux déplacements actifs et durables. Toutefois, la robustesse générale de la proposition est remise en doute par le manque de stratégies d’animation et de rétention des usagers. Comme l’avancent Schmidt et Austin (2016), un espace trop large et offrant trop de libertés d’appropriation n’est pas plus souhaitable qu’un espace trop spécifique qui ne suggère que quelques possibilités d’appropriation. Les concepteurs devront ainsi rapidement suggérer des usages aux espaces publics en intégrant des supports aux activités qui y prendront part pour assurer l’animation efficace de leur espace. 

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